Le corps dans la main

«Mourir de dire. La honte»


Ce titre est celui d'un ouvrage du bien connu Boris Cyrulnik (la résilience, vous savez? bref, un type un peu trop optimiste sans doute, mais passons). Neuropsychiatre, il s'est dans ce dernier livre penché sur le sentiment de la Honte. Oui, elle mérite une majuscule. Certains osent dirent que ce n'est qu'un amas de sensations et d'émotions bien rationnelles mêlées. Trop simple. Et, allez savoir pourquoi, ces derniers jours m'ont donné envie de me renseigner sur le sujet. Tour d'horizon de mes trouvailles. 
Et précisons que la connaissance n'efface pas le mécanisme.. bien dommage n'est-ce pas? sans doute faudrait-il dire ça plus tôt à des générations de médecins et de psys.
 



"J'ai envie de m'évanouir. Phrase insolite qui interpelle en moi le médecin avant même l'analyste. Car elle n'a pas dit : "je me sens m'évanouir", ou "je vais m'évanouir", expressions usuelles d'une personne qui perçoit un malaise physique poindre en elle, et, sentant son corps la lâcher, donne l'alerte. Mais "j'ai envie de m'évanouir". Ici, c'est le Sujet qui dit son désir de se lâcher.

Toute la dimension de la honte est contenue en cette courte phrase : la division interne profonde, la faille d'entre le Sujet et un regard supposé Autre où s'origine le sentiment qui morcelle, la violence du cri qui retourne à son insu le Sujet contre lui-même, la croyance de l'illégitimité de son désir d'exister Sujet, alors que l'illégitimité ne se vit que dans la mort corporelle. " 

"tout le monde a tendance à réagir à une blessure narcissique avec embarras et colère, mais les expériences les plus intenses de honte et les formes les plus violentes de rage narcissique surviennent chez les individus pour qui le sentiment d'exercer un contrôle absolu sur leur environnement est indispensable pour le maintien de l'estime de soi."

 

source : http://papiers.universitaires.pagesperso-orange.fr/psy32.htm

 

 

 

"Dans la liste des émotions, la honte est souvent définie comme une émotion mixte, c'est à dire un mélange d'émotions simples. Pour de nombreux spécialistes, elle est un mélange de peur et de colère. Cependant, parmi les autres émotions, elle se distingue par sa complexité et ses dimensions multiples: sociale, narcissique (lié à l'ego et à l'identité), corporelle et spirituelle.[...]

la honte est différente de la culpabilité pour deux raisons essentielles (même si elle est parfois définie comme la version sociale de la culpabilité). Tout d'abord, comme on vient de le voir, la honte est de l'ordre de l'"Être" et non du "Faire". On peut avoir honte sans avoir fait quelque chose de condamnable à la différence de la culpabilité: honte d'une partie de son corps, honte de sa famille,.... Ensuite, le sentiment de honte exclut le sujet de la communauté alors que la culpabilité participe à le ramener dans celle-ci en l'invitant à modifier son comportement. 

 

La honte ne se limite pas à la peur ou à l'anxiété sociale même si elle apparaît dans la phobie sociale. Elle ressemble à la phobie sociale car elle entraîne parfois la mise en place de stratégies d'évitement semblables.  A ce stade, il est important de distinguer deux grands types de personnes concernées par le vécu de la honte : celles qui ont intériorisé la honte et celles qui ont créé des aménagements à des vécus de honte. [...]

La honte est plus sensorielle, moins verbale que d'autres émotions au sens où elle engendre moins de discours interne. En ce sens, la honte est une émotion plus archaïque ou corporelle. De plus, la honte est plus de l’ordre de l’inconscient collectif"

 

source : http://www.lahonte.org/

 

 

 


Interview de Boris Cyrulnik réalisée par Elisabeth Gordon - 2010
«UNE PERSONNE QUI A HONTE CONSIDÈRE QUE LE REGARD DE L’AUTRE EST CELUI D’UN PRÉDATEUR.» Boris Cyrulnik

Auteur de nombreux livres à succès, il consacre son dernier ouvrage à la honte, cet «étrange silence des blessés de l’âme».

S’appuyant sur les derniers acquis des neurosciences et de la psychologie, il émaille ses propos de nombreux cas concrets de personnes – dont certaines sont célèbres comme Romy Schneider ou Primo Levi – qui ont souffert de ce sentiment.

Dans un style vivant, parfois personnel et souvent émouvant, Boris Cyrulnik explore les diverses facettes de cette honte largement partagée, mais encore peu analysée.

 

Pourquoi vous êtes-vous soudain intéressé à la honte?

Tout le monde sait ce qu’est la honte, mais si les psychologues se sont beaucoup penchés sur la culpabilité, la honte n’a suscité jusqu’ici que très peu de réflexions et d’études cliniques.

J’ai décidé de travailler sur ce sentiment lorsque j’ai entendu un de mes collègues québécois expliquer que les principaux facteurs qui entravaient la résilience étaient l’isolement affectif, le non-sens et la honte.

Le sujet qui a honte, surtout à l’adolescence, se met en dehors du processus de socialisation.

 

Cela dit, avoir honte n’est pas toujours honteux. Vous écrivez même que cela peut avoir quelque chose de positif.

En effet, une petite honte est un facteur de morale. J’ai honte car je tiens compte de votre regard, donc de votre existence. Sans honte et sans culpabilité, nos rapports ne seraient que violence.Un zeste de ces deux sentiments nous permet de coexister dans le respect mutuel et d’accepter les interdits qui structurent la socialisation.

 

La honte, écrivez-vous, peut durer deux heures ou toute une vie. Si elle s’installe elle peut gâcher l’existence.

Une grande honte est en effet un poison de l’âme. La personne dit alors souvent: «J’aurais voulu rentrer sous terre.» Elle considère que le regard de l’autre est celui d’un prédateur.

C’est un processus très destructeur, car il conduit à éviter les relations humaines, ce qui trouble fortement la socialisation et la résilience.

 

Quelles sont les principales causes de la honte?

Elles peuvent être très diverses. La biologie et la génétique peuvent intervenir: il existe des enfants anormalement sensibles. Il y a aussi des causes externes, qui peuvent être sociales – on retrouve notamment de la honte chez les peuples vaincus au cours d’une guerre – ou culturelles.Ces dernières sont provoquées par des mythes ou des préjugés qui font du Juif une personne qui escroque tout le monde, d’un Arabe un fourbe qui plante un couteau dans le dos de ses amis, ou d’un Gitan un voleur de poules.Ces causes extérieures rendent honteux ceux qui les intériorisent et leur donnent de l’importance.

 

Il y a aussi des facteurs affectifs, n’est-ce pas?

Il y a des causes familiales, comme un père écrasant, une mère méprisante, un frère ou une sœur dont le succès humilie celui qui ne réussit pas. Ce sont les plus efficaces car elles possèdent le pouvoir d’affecter le sujet.

Mais il y a aussi des causes intériorisées, telles celles qui affectent un enfant qui n’arrive pas à la hauteur de ses rêves qui sont d’ailleurs plutôt ceux de ses parents. Tous ces déterminants convergent pour déclencher la honte.

 

Et tout se complique car la personne n’ose pas parler de ce qui la trouble. Pourquoi?

Parce qu’elle craint la réaction de l’autre. Tous les gens qui ont eu des traumatismes ont du mal à en parler, car ils sentent qu’ils gênent les autres en racontant ce qu’ils ont subi et ils se sentent les gêner.

Les femmes agressées sexuellement éprouvent une injuste honte car elles savent que, en racontant ce qui leur est arrivé, elles vont provoquer l’embarras de l’auditeur et susciter chez lui un regard de dépréciation. Elles ne peuvent donc pas partager le récit.

 

Est-ce en parlant que l’on peut sortir de ce sentiment traumatisant?

Plutôt que «sortir», je préfère employer le terme de «s’affranchir» de la honte, car cela renvoie aux esclaves qui se sont affranchis et ont retrouvé leur liberté.

Pour ce faire, il faut en effet parler, car si on ne dit pas sa honte, on se coupe en deux; il existe une crypte en soi qui souffre en secret.

Mais on ne peut pas parler n’importe quand, n’importe comment, ni avec n’importe qui. Il faut se renforcer et rendre les autres capables d’entendre

 

 

 

Bon, je m'arrête, ceux ou celles qui arriveront jusque là ont bien mérité une trêve. 

 

Juste un post scriptum : certes la honte et la culpabilité pourrissent la vie. Mais vouloir s'en affranchir comme le clament les nouveaux délurés psycho-guides qui n'ont rien de déluré ni d'original, juste une once de commercial, c'est aussi inimaginable que stupide. L'Homme souffre, on le sait, et ça va continuer. La volonté et la jovialité n'y changeront rien. Mais il me semble néamnoins que rien n'empêche de vouloir savoir.

 

 

 

 




22/03/2012
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