Le corps dans la main

Eboueur de passé

Il est 6 heures. C'est dimanche. L'envie de crier m'a fait sortir. Je constate l'engourdissement des rues désertes, des fenêtres éteintes, des bouteilles et des emballages vides laissés sur le pavé. Comme souvent dans mes promenades exutoires, je scrute les foyers que j'imagine derrière les façades, j'en veux au monde entier, je m'abreuve d'un flot de paroles imprononcées, automatiques, que je n'essaye pas d'arrêter. 

 

 



 

 

Immolée par ta braise intérieure, attisée, brassée par les tisons de l'incessant, tu t'arrêtes au carrefour de la mélancolie. 

Comment supporter que les choses ne soient plus, l'obscénité des fugues, des journaux, des colonnes, tu collectes; le désastre du matin, les bas oubliés? 

Faucheur d'histoires, guetteur de la médiocrité, corbillard des moeurs, tu collectes les cadavres pestiférés des heures jetées.

Comment supporter la nonchalance sublime du jour qui se lève, froissant de ses doigts traîtres les paroles prononcées, les regards échangés, les minutes attendues ?

Des bouteilles de lait vides remplies de silence. La Dérision reprend ses aises. Les feux hagards clignotent, sur pause, indifférents. Tu es seule. La braise de tes entrailles te gonfle de mort lente, t'emplit, elle est toi, bouillonante d'hébétude. 

Au rendez-vous des nuits cassées, des jours captieux, des résignations fantasques, le café brûle. Des épis aggressifs tendent leurs lances flétries. Les pavés jonchés d'hier sont lavés le matin sans remords.

Seuls les angles des murs rongés de lierre, creusés à la louche, rassurent de leur présence misérable, de leur vieillesse solide. Bibliothèque verticale,connivence d'aïeux tendres, ils sont touchants et maladroits, ces vieux  spectres en costume d'apparat. 

Dans les ruelles désertes, face aux réclames noires et roses, aux devantures-écrins éclairées d'un luxe triste, aux éveils langoureux que l'on devine, c'est la puanteur du temps que tu sens.

Là-bas, les arbres se décomptent, couteaux noirs sur les cimes, si loin qu'on les attraperait de la main. Ces troncs narguant l'aurore de leur voilure sinistre. 

Sur l'autre rive, les lumières scintillent encore, veilleuses des peurs tues. Et une brèche se dessine, perspective boréale, glacée des pastels du jour timide. Un fjord rose s'ouvre, offre une fuite soudaine vers l'infini. De la cacophonie des toits aux cheminées anarchiques s'échappe cette ligne vierge, d'une bleuté fantomatique, qui invite du regard. 

Tu pleures de cet ailleurs qu'elle suggère.

L'imagination est une miroiterie. 

Le rêve est un tableau. Mais le songe est une musique : une émotion sans image, une idée, une figuration instantanée dans ce qui n'a jamais existé, dans l'utopie dont tu refuses la virtualité. Du flou impossible, du coeur écorché. 

 



31/12/2011
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