Le corps dans la main

Je ne suis pas dans mon assiette.


"qu'est ce qui se passe, tu n'as pas l'air dans ton assiette?"  Phrase on ne peut plus judicieuse. Je sursaute imperceptiblement, électrique. Aurait-elle deviné? non, non, mon masque est bon, rien ne trahit que je viens de passer la matinée au chevet des toilettes. Je souris. T'inquiètes. 

 

La vision des autres mangeant est un supplice délicieux : voir cette ignominie, voir ces calories avalées trop vite, voir ces porcelets rieurs et roses me dégoûte à un point tel que leur spectacle suffit à me couper définitivement l’appétit.

 

 

 

Quand bien même ce ne sont pas des petits cochons laiteux mais des gens affairés, bien installés dans un rôle, dignes ou crédibles, les voir soupirer d’aise devant leur plat, les entendre jubiler de tel ou tel dessert, tout cela me parait non seulement une bassesse commune mais plus encore complètement hypocrite. Comme si ils n’avaient pas la légitimité d’apprécier un plat. Comme s’ils étaient incapables du recul nécessaire à apprécier un arrangement gastronomique.

Comme si seule l’anorexique pouvait, parcequ’elle sait exactement les calories, les acides aminés, les vitamines, les ingrédients composants un met,véritablement le juger. Surtout parcequ’elle a cette possibilité infinie de REdécouvrir tout, après des heures, des mois de privations. Ou parcequ’elle possède cette dissociation nourriture-mental exacerbée qui la rend le meilleur juge possible et imaginable. Ok, encore une fois, voilà le mépris incarné.. mais qu’est ce d’autre que la volonté de s’élever au dessus de sa condition de petit humain merdique gouverné par sa faim, ses douleurs, ses « humeurs », ses viscères ? n’est ce pas du snobisme ultime ?  D’ailleurs l’autre l’a surement bien compris, c’est pourquoi il méprise, avilit, soupire en retour. Pff, pauvre grenouille, tu voulais te faire plus maligne hein ! mais tu vois, aujourd’hui, c’est moi qui triomphe.

Pauvre fille, pauvre quidam, elle est dans un pérpétuel déséquilibre entre un être bien dessiné, un moi qui hante ses nuits, un moi nouveau dont elle dessine chaque jours les contours avec amour, une nymphe vaporeuse, brumeuse, pauvre fée.. et la réalité corporelle trouble fête, la réalité des crampes, des envies, des vertiges, des fringales, des regards désapprobateurs.

Pauvre fille va, sortiras tu jamais de cet entre deux,de cette hésitation perpétuelle, de ces contradictions et ces remords? 


 

On ne saurait toujours dire, ce que c’est qui enferme, ce qui mure, ce qui semble enterrer, mais on sent pourtant je ne sais quelles bornes, quelles grilles, des murs ( ...) et puis on se demande : mon Dieu est-ce pour longtemps, est-ce pour toujours, est-ce pour l’éternité ? 

 

 




10/07/2011
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