La boulimique d'à côté
Voilà, je savais que ça finirait par se reproduire. Ma plus grande hantise c'est que mes voisins l'entendent. Les cloisons sont tellement fines. J'entends bien le bruit de leur douche, les cris stridents de leur fille, alors mes régurgitations, ça doit leur sauter aux tympans.
La plus grande inhibition des troubles alimentaires, c'est le public. Alors j'ai essayé de manger dans la rue pour avoir cette inhibition des regards, pour ne pas manger trop vite, etc.. mais au final c'est devenu une habitude, et je croque dans mes croutons de pain en remontant la rue. Dans un délire paranoïaque aigu, je m'imagine les commentaires aux fenêtres, je m'imagine qu'il est impossible qu'on ne se rende pas compte de mon manège : ça y est, elle va faire ses courses, tiens elle a pris du poids.
Et puis à chaque fois que j'atteins l'arrêt de bus, un autre angoisse m'assaille : et si IL était là ? ou ELLE ? alors je marche droit, vite, sans regarder.
Même les dealers qui me croisent au carrefour glauques me demandent si ça va. Ma décomposition doit se lire sur mon visage comme une mono-tulipe rouge sur un rond-point.
J'ai peur. Je suis seule. Rien ne me fait envie.
Et pourtant je continue d'avoir faim, la faim biologique, alors que tout autre domaine me paraît inappétissant. Mais le besoin, l'appel du ventre ne suit pas les même lois que la foi de vivre.
J'ai essayé les aliments quelconques, pour manger sans plaisir, par nutrition pure, sans risquer d'avoir envie de succomber à la tentation d'en reprendre. Mais quand vous avez faim, vous n'hésitez pas à vous avilir. Et courir acheter une plaque de chocolat.
Help, help, help.
J'ai l'impression de porter une étoile rouge sur mes vêtements : la boulimique.
Je sors avec la peur au ventre. J'ai l'impression de lutter contre un sommeil insoutenable. De m'évanouir à chaque pas. D'ennui, de honte, de je ne sais pas quoi. La vie n'est peut être qu'une succession de sécrétions, de déjections, de glaires, mais celle d'une boulimique bat des records, soyez-en sûrs.