Le corps dans la main

Lautréamont, les Chants de Maldoror

 


"Voyageur, quand tu passeras près de moi, ne m'adresse pas, je t'en supplie, le moindre mot de consolation : tu affaiblirais mon courage. 

Laisse moi réchauffer ma ténacité à la flamme du martyr volontaire"

 

Lautréamont, Les Chants de Maldoror 

 

 

 

J'ai vu pendant toute ma vie, sans en excepter un seul, les hommes aux épaules étroites, faire des actes stupides et nombreux, abrutir leurs semblables, et pervertir les âmes par tous les moyens. Ils appellent les motifs de leurs actions : la gloire. 


En voyant ces spectacles, j'ai voulu rire comme les autres, mais cela, étrange imitation, était impossible. J'ai pris un canif dont la lame avait un tranchant acéré, et je me suis fendu les chairs aux endroits où se réunissent les lèvres. Un instant je crus mon but atteint. Je regardai dans un miroir cette bouche meurtrie par ma propre volonté. C'était une erreur!

Le sang qui coulait abondamment des deux blessures empêchait d'ailleurs de distinguer si c'était là vraiment le rire des autres. Mais apès quelques instants de comparaison, je vis bien que mon rire ne ressemblait pas à celui des humains, c'est à dire que je ne riais pas.

 

J'ai vu les hommes,à  la tête laide et les yeux terriblement enfoncés dans l'orbite obscur, surpasser la dureté du roc, la rigidité de l'acier fondu, la cruauté du requin, l'insolence de la jeunesse, la fureur insensée des criminels, les trahisons de l'hypocrite, les comédiens les plus extraordinaires, la puissance de caractère des prêtres, et les êtres les plus cachés au dehors, les plus froids des mondes et du ciel;lasser les moralistes à découvrir leur coeur et faire retomber sur eux la colère implacable d'en haut.  Je les ai vu tous àn la fois [..] depuis le commencement de l'enfance jusqu'à la fin de la vieillesse, répandant des anathèmes incroyables qui n'avaient pas le sens commun, contre eux mêmes et contre la Providence.[...]. Je les ai vus aussi rougissants, pâlissants de honte pour leur conduite sur cette terre, rarement. Tempêtes, soeurs des ouragens, firmament bleuâtre, dont je n'admet pas la beauté; mer hypocrite, image de mon coeur, terre au sein mystérieux; habitant des sphères; univers entier-, Dieu, toi qui l'a crée avec magnificence , c'est toi que j'invoque : montre moi un homme qui soit bon! 

Mais que ta grâce décuple mes forces naturelles; car, au spectacle d'un tel monstre, je puis mourir d'étonnement, on meurt à moins. 

 

Les Chants de Maldoror, Chant premier



25/06/2011
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