Le corps dans la main

Le masochisme dans l'anorexie

 

Source : http://www.la-psychologie.com/conduites-addictives.htm par Isabelle LEVERT
Psychologue clinicienne
Psychothérapeute

 

 

Les troubles alimentaires concaves et convexes que sont respectivement l'anorexie et la boulimie sont considérées par le milieu médical comme des conduites addictives à part entière. Mais une addiction à quoi ? réponse évidente : à la nourriture/ l'absence de nourriture. Mais aussi au martyr, à la négation physique et la souffrance coroporelle qui va de pair, une addiction à un soi qui est devenu souffrance construite, auto-brimée et intègre. C'est pourquoi cet article associe les termes addiction et masochisme, parfois obscurément. Ajoutez encore narcissisme et fantasme, relation à la mère et culpabilité...je vous laisse découvrir. Ou rire des référence freudiennes aux spyncters et à l'analité. A choix ! 

 

La conduite addictive est un mécanisme de défense de l'ordre du déni manique"L'individu parvient à la réalité extérieure à travers des fantasmes omnipotents élaborés dans un effort fait pour fuir la réalité intérieure" (Winnicott, 1935). Elle explose généralement à la puberté mais est toujours précédée d'une phase dépressive qui s'est développée à bas bruit et qui se caractérise par l'absence de demande du sujet. Elle s'enflamme face aux angoisses oedipiennes réactivées au moment de l'adolescence mais trouve son origine dans les angoisses pré-oedipiennes en rapport avec la relation avec la figure maternelle. 

[...]

Winnicott explique que l'enfant peut être inclus dans les défenses maternelles contre la dépression, ce qui l'empêche d'atteindre sa propre position dépressive parce qu'il étouffe tout fantasme sadique qui risquerait de détruire l'objet, d'où il ne peut élaborer la culpabilité et accéder à la sollicitude et aux possibilités de réparation. "[...] le sentiment de culpabilité dans ses rapports avec les pulsions et les idées d'agressivité et de destruction, et c'est seulement lorsque le malade est capable de comprendre ce sentiment, de le supporter et de l'assumer, qu'on voit apparaître un besoin de réparation [...] dans la pratique clinique cependant, nous avons affaire à une fausse réparation qui n'est pas spécifiquement apparentée à la culpabilité du malade... mais la défense organisée de la mère contre sa dépression et sa culpabilité inconsciente à elle" (Winnicott, La réparation en fonction de la défense maternelle organisée contre la dépression, p. 59). L'enfant a grandi pour protéger la mère contre sa dépression, dans le but de réparer la mère, de la ranimer et non selon son évolution personnelle. Ce développement en faux-self est aussi conceptualisé par Ferenczi (1932, Confusion de langue entre les adultes et l'enfant) avec la notion de progression traumatique qui signifie, d'une part, que l'enfant est devenu le psychiatre de ses parents et, d'autre part, que la pensée est devenue une chose en soi visant à compenser les carences maternelles. "[...] c'est le terrorisme de la souffrance. Les enfants sont obligés d'aplanir toutes sortes de conflits familiaux, et portent sur leurs frêles épaules, le fardeau de tous les autres membres de la famille". L'enfant censure tous les mouvements pulsionnels que la mère ne peut contenir. Les conduites ordaliques (jeux avec la mort) ont aussi pour but l'explosion de cette personnalité factice.

[...]

L'anorexie est à voir comme le résultat d'une fixation au sadisme oral qui se retourne sur le moi. "Les auto-reproches sont des reproches contre un objet d'amour, qui sont renversés de celui-ci sur le moi propre". (Freud, 1915, Les processus à l'œuvre dans la mélancolie in Deuil et mélancolie) et qui vient renforcer le masochisme primaire. De plus, en 1924, dans "Le problème économique du masochisme", il souligne que le sentiment de culpabilité inconscient est le départ d'un besoin d'expiation, d'un besoin de punition et que la satisfaction tirée du masochisme constitue un bénéfice secondaire de la maladie pouvant expliquer les résistances du malade à la guérison et la réaction thérapeutique négative. Pour Freud, les cas extrêmes de cette relation masochiste relèvent d'une identification massive à une personne blessée ou souffrante que le sujet a investi libidinalement.

[...]

Selon Kestemberg et al, il y a eu un surinvestissement du soi-fonctionnement au détriment des pulsions et de leur intégration dans le cours du développement libidinal. La mère, en exigeant l'autonomie de son enfant (la maîtrise des sphincters), empiète sur son narcissisme mais révèle aussi ses difficultés vis-à-vis de sa situation oedipienne dans ce rétrécissement des contacts sensuels avec son enfant, dans cette centration sur les manifestations grossières des besoins et non pas axée sur un discernement aimant. Les conséquences en sont, d'une part, une recherche compulsive de la maîtrise trop vite abandonnée (rétention / don du stade anal) et une auto-stimulation visant à trouver des sensations, voire même la douleur, afin de se sentir exister. "C'est le rôle des sensations de servir également à contre-investir le monde interne des émotions et le lien aux objets que celles-ci véhiculent" (Jeammet, 1995). S'inscrivant dans les conduites ordaliques, les addictions peuvent être considérées comme une tentative de défusion d'avec la mère dans un fantasme d'auto-engendrement. La souffrance donne une contenance ; sans elle, on serait dans le morcellement psychotique. L'anorexique est à la limite. La maîtrise de l'objet externe fait partie des tentatives de reconstruction du moi. Le masochisme est un compromis à portée de main quand le moi est menacé de débordement (cf.Freud, 1923, à propos du traumatisme). L'anorexique peine pour mettre des limites à ce quelque chose en lui qui est comme un traumatisme répétitif (à rapprocher des rêves d'angoisse de la névrose traumatique). "On ne veut plus être victime d'un trauma mais agent de la maîtrise".

Il y a quelque chose de proche de l'autisme dans ces conduites addictives. D'après Tustin, l'autiste a la phobie de sa mère. L'enfant se constitue comme pare-excitation. L'érotisation massive du rejet de la nourriture, de l'objet d'investissement libidinal que pourrait être l'autre résulte de fantasmes mégalomaniaques d'autosuffisance à mettre en rapport avec l'analité mais aussi avec l'omnipotence du moi-idéal, ce qui rejoint le narcissisme mortifère dont parle Green. Tout se passe comme si l'imago de la bonne mère était broyée par le plaisir de ne pas manger (orgasme de la faim). La castration ne peut se focaliser (sur un objet partiel, le phallus) et donc elle envahit le corps tout entier. Il y a un déplacement de l'érotisme qui est devenu masochiste. De fait, la désobjectalisation renforce la libido narcissique et la pulsion de mort désintriquée s'attaque au moi, au corps, aux pensées en tant qu'elles renvoient à l'objet. Les activités intellectuelles et motrices demeurent, souvent surinvesties même, en guise de contre-investissement, mais elles sont coupées de tout plaisir et clivées du reste du moi.

[...]

En même temps que le masochisme offre au sujet une contenance face aux débordements pulsionnels - traumatismes multiples - qui l'assaillent, et un moyen de retrouver une identité quand il se sent happé par l'autre, la manipulation perverse de l'autre qu'il induit, lui renvoyant sans cesse son incompétence, est à voir comme une façon de renverser la situation en son contraire, par le pouvoir de décevoir, de retrouver une position active et de maintenir le lien objectal. "Pas une altérité, juste une adversité". Il y a une violence adressée à l'autre. Chaque fois que l'autre tente une approche pour aider, il y a crainte pour le narcissisme si bien que la relation aux autres ne peut pas alimenter la consolidation narcissique. [...]

 

 



04/02/2012
5 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour