Le corps dans la main

Les dons des Fées, Baudelaire

 

 

Le Spleen de Paris, Charles Baudelaire

Les dons des fées

 

 

C'était à la grande assemblée des Fées, pour procéder à la répartition des dons parmi tous les nouveaux-nés, arrivés à la vie depuis 24 heures.

Toutes ces antiques et capricieuses Soeurs du Destin,toutes ces Mères bizarres de la joie et de la douleur, étaient fort diverses : les unes avaient l'air sombre et rechigné, les autres un air folâtre et malin; les unes jeunes, qui avaient toujours été jeunes, les autres vieilles, qui avaient toujours été vieilles. Tous les pères qui ont foi dans les Fées étaient venus, chacun apportant son nouveau-né dans ses bras. [...]

Les pauvres Fées étaient très affairées, car la foule des solliciteurs était grande. En vérité, elles étaient aussi ahuries que des ministres en jour d'audience [...] ainsi furent commises ce jour là quelques bourdes que l'on pourrait considérer comme bizarres, si la prudence plutôt que le caprice était le caractère distinctif eternel des Fées. [...]

Toutes les Fées se levaient, coyant leur corvée accomplie, car il ne restait plus aucun cadeau,plus aucune largesse à jeter à tout ce fretin d'êtres humains, quand un brave homme, un pauvre petit commerçant je crois, se leva et empoignant par sa robe de vapeurs multicolores la Fée qui était la plus à sa portée, s'écria :

"Hé, Madame, vous nous oubliez! il y a encore mon petit ! je ne veux pas être venu pour rien."

La Fée pouvait être embarrassée, car il ne restait plus rien . Cependant elle se souvint à temps d'une loi bien connue, quoique rarement appliquée_ je veux parler de la loi qui concède aux Fées, dans un cas semblable à celui-ci, c'est à direle cas d'épuisement des lots, la faculté d'en donner encore un, supplémentaire et exceptionnel, pourvu toutefois qu'elle ait l'imagination suffisante pour le créer immédiatement.

Donc la bonne Fée répondit, avec un aplomb digne de son rang :

"Je donne à ton fils....je lui donne...le Don de plaire !"

"Mais comment plaire? plaire..plaire pourquoi?" demanda opiniâtrement le petit boutiquier. [...]

"Parceque, parceque" répliqua la Fée courroucée, en lui tourant le dos.

Et rejoignant le cortège de ses compagnes, elle leur disait :" Comment [..] ce petit vaniteux, qui veut tout comprendre, et qui ayant obtenu pour son fils le meilleur des lots, ose encore interroger et discuter l'indiscutable?"


 



31/08/2011
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