Le corps dans la main

Les martyrs n'ont pas faim.

 

 

 

_ J'ai faim. Je n'ai pas le droit d'avoir faim, pas maintenant. 

_ Non. Le vrai héros shakespearien ne peut pas éprouver de pareils bassesses : ni faim, ni soif, ni sommeil.

_ Il se consume de mal d'amour.

_ La tragédie ne connaît pas la faim. Le sentiment est en soi d'une intensité telle qu'il surpasse la physiologie.

_ Je ne suis qu'un bout de viande, puisque j'ai faim.

_ La douleur et le chagrin devraient te suffire. 

_ J'ai faim pour les oublier. Mon estomac me distrait.

_ Tu es plus que ça. 

_ Je m'en veux d'avoir faim. 

_ Et tu as raison. Ne te ramène pas à de pareilles futilités. Tu es un martyr. Tu es un personnage. Tu es un esprit virtuel. Les cris de ton ventre doivent se taire face à ceux de ton désespoir. 

_ Jusqu'à présent je me suis nourri de présences,j'ai été noué de crainte, de jalousie, de désirs. J'ai été abreuvé de passion, et lorsque je tendais les lèvres c'était pour te boire.Maintenant me voilà de retour à la trivialité. 

_ Tu me déçois.

_ J'ai honte.

_ Le jeûne est comme la passion, il balaie tout sur son passage, il troue les entrailles au plus profond, il excave, il fore. Il vide jusqu'à l'orgasme de l'abandon. 

La frébrilité et l'état d'éveil des excitants mime la passion. 

_ En es-tu sur ? lequel mime l'autre ?

_ Peut importe le chemin qui mène à la fièvre, seule la griserie importe.

_ La griserie de l'amour est plus vraie.

_ Alors celle du tourment l'est aussi.

_ Elle l'est plus encore. 

_ Alors soit tout à elle, exhalte ses ravages en ne t'en écartant pas par tes instincts biologiques. Elle seule est vraie. Oedipe et Oreste n'avaient d'autre destin que celui que les Dieux ont choisi pour eux. Le grandiose n'attend pas d'être rassasié. Ne veux- tu pas être grandiose ? 

_ Je n'y parviendrais pas. 

_ Alors au moins soit noble, et ne mélange pas le matériel à ton âme. La torture est complète ou n'est pas.

_ Je n'ai plus de quoi me repaître. Je me retrouve seul face au miroir, qui ne me renvoie que ma faim. La bouche qui embrassait ne pouvait pas se faire vomir. Sa fonction est exhaustive.  Maintenant l'interdiction est levée. 

_ Le naturel revient au galop.

_ Quand il est batârd et indigne et qu'il vous pousse à satisfaire vos plus vils instincts, on aimerait le renier. Renier sa nature humaine. Mais comment ?

_ Par l'émotion. 

_ Par l'Amour ?

_ La passion est elle- même un instinct des plus bas. Mais vainc les autres. 

_ Pourtant les hommes les plus médiocres et les plus laids s'éprennent les uns des autres.

_ Non, ils trouvent des partenaires avec qui copuler et monter une belle petite famille laide. L'être humain a besoin de se coller à un autre  pour se sentir accompli. 

_ Mais je ne suis pas un homme, je suis un poète !

_ Alors brise la loi de l'évolution, la loi du "je te tiens tu me tiens par la barbichette et nous feront des enfants", la loi de la Création perfide et de l'oestrus minable, et conçoit l'Amour Intelligent.

_ Le romantisme est un plat qui ne se mange pas. 

_ Tu as tout compris.

 

 

 



 



04/01/2012
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