Le corps dans la main

Nuit de Noël 2011.

 

 

 

 

 

 

Nuit de Noël . J’enfonce ma cigarette dans la terre gelée. Je regarde le givre qui ne crisse sous aucun pas, les fenêtres allumées derrière lesquelles j’imagine les familles frénétiques réunies. Rien n’est plus triste qu’un engouement que l’on ne partage pas. Rien n’est plus triste que d’aller se servir un verre, un livre alors que les autres sont en liesse. Ou plutôt si : la fête qui s’éteint trop tôt, la fête lasse et vite expédiée est encore plus misérable. Aucune chaleur ne grésille plus.

Je redoute l’instant de me coucher, l'instant ou je devrai admettre le temps évaporé. Du temps précieux pourtant, du temps natif, du temps réjouit. Pas vraiment cependant. Les jours fériés des uns sont la croix des autres. De ceux qui errent dans les rues aux magasins clos, sur les trottoirs encore sales et déserts, condamnés à régner sur les lendemains.

Par delà les toits s’étend un ciel maître, noir et absorbant. Voilà longtemps que je n’avais pas vu les étoiles. Elles crient sur ce fond de néant. Des petites constellations font comme une traînée de poudre, en cercle clos. Même les étoiles semblent grégaires.

La nuit est si dense que l’on pourrait y marcher. Je descend de mon balcon, je pose avec précaution mes orteils dans le velours sombre qui ploie à peine sous ma pression.  Me voici sur le gigantesque baldaquin tendu à perte de vue. Je contemple l’en-bas au travers : que de maisons minuscules, d’huis recroquevillés, de lumières illusoires ! Là bas, on parle, de tout, de rien, mais jamais de ce qui importe. On mange, on festoie, on regarde dans la même direction pendant quelques heures convenues. Moi je marche toujours sur ma couverture. Immensément seule. Seule au milieu des foules, éperdue, bousculée, éparse. Cette nuit j’ai trouvé mon ermitage. Et je les vois de loin, féline et silencieuse, dans le molleton sécurisant de mon tapis nuité.

Je pense à ceux parmi mes amis, qui, semblables à ces silhouettes aux vitres illuminées de rouge et d’or, sont attablés et gais à cet instant.  Comme les gens sont d’un imprévisible réalisme ! leurs visages sont multiples, mais issus d’un éventail de présélections communes. Les circonstances, les convives, les rôles attendus,et l’on fond sous les situations comme neige au soleil.


Est-ce le monocorde des paysages d’hiver ? est-ce le deuil d’une année qu’on efface ? est-ce le cérémional sans cesse répété qui nous met à l’épreuve du temps qui s’écoule et de notre jeunesse qui se décout ? Décembre et Janvier sont à chaque fois une grande apnée mélancolique, comme s’il fallait ces mois de désespoir pour parvenir à accepter le renouveau d’un cycle, un de plus. Ces mois pour que l’on accepte le remariage avec l’autre,la jeunette, l’année vierge. Pour débarrasser le linge des armoires, débarrasser l’esprit de sa nostalgie intrinsèque. Alors on range les jours sur des papiers. L’on collecte ses souvenirs,  on ramasse des viatiques au bord des chemins. On repasse les scènes sur une bobine rayée.On garde dans une boîte à trésor au fond de notre cerveau ces moments extatiques, avec la peur sourde qu’ils se périment, la peur que l’on soit le seul à s’en souvenir encore, à y vouer un culte, à brosser chaque dimanche ses joies et se peines avec une brosse de fer pour les faire reluire.

Le cercle est infini : un moment d’extrême nostalgie, par l’intensité de sa peine lumineuse, est potentiellement  lui-même source de nostalgie. .. on en note précieusement les circonstances, et l’on en fait une nouvelle étape dans le lent remontoir chronologique des instants de nos vies.  Ainsi dans le grenier tout s’amoncelle, et aucun de ces instants ne veut être jeté à l’indifférence. Parceque collecter sa vie, c’est élargir ses potentiels d’évasion.


 

 

 



14/01/2012
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