Le corps dans la main

Enfante

 

 

 

J’ai 6 ans. Je regarde les collines qui passent du vert sombre au transparent bleuté, les étendues de bois coupé, le chemin défoncé, je les regarde avec les mêmes yeux. D'ailleurs je vois la même chose. Sentiment étrange de non-regression mais d’intemporalité. Non seulement mes yeux sont les mêmes mais mon regard l’est aussi, à tel pont qu' un flash-back cinématographique ne saurait être plus fidèle.

Ils sont là, nous rions, je suis essouflée.

Je sautille sur le chemin, dans la continuité parfaite d’alors.Cela me fait peur, cela me réjouit. Je suis une enfant. Pour rien au monde je n’arrêterai de marcher dans les flaques les jours de pluie. Les plaisirs dérisoires ont la saveur de l’instant, celle de la provocation.

Je dévale le chemin boueux,celui que mes pieds connaissent par cœur, je suis étonnée que mon grand corps soit encore si cahoté par ces rigoles terreuses. Soulagement de voir qu’il ne me fait pas obstacle, qu’il ne s’est pas trop hissé vers le monde vertical des adultes. 


Pour la légéreté, la curiosité, la surprenante agilité d’esprit, l’incompréhension des conventions, les éclats, alors oui, l’enfant est parmis les êtres le plus aboutit, et celui que l’on pervertit en toute bonne conscience par le poids des normes et des chronologies sociales, des obligations, de la morale et des frustrations.

D’ailleurs, les enfants sont insupportables, on en est tous jaloux.  Chacun solutionne cette immense frustration à sa façon :  certains_ la plupart_ procréent, espérant obtenir l’insouciance et la gaieté par procuration de l’être à venir, d’autres détruisent, exècrent, font ployer de toutes les façons imaginables, jouissance extrême, féroce.. . les jeunes corps crissent sous leurs poids, éventrés de l’intérieur avec une application destructrice morbide. Rien n’est moins sain qu’un enfant aux yeux d’un adulte. 

Cet aveu ne sera probablement jamais prononcé par des générations de tendres mères convaincues de leur instinct maternel et de la légitimité de l’éducation aimante mais néanmoins formelle qu’elles donnent à leur chose. La femme, toute moderne qu’elle soit, ne renie pas son rôle de pondeuse. Elle y voit un prolongement ombilical de son âme, une pérennité stupide de sa propre enfance perdue, toute illusionnée qu’elle est par l’idée bien ancrée que l’obtention d’une descendance est l’unique dessein des terriens.  

 

 

 

 

 




12/11/2011
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