Le corps dans la main

Par delà le Bien et le Mal, Nietzsche


L'homme grégaire prétend être aujourd'hui en Europe la seule sorte d'homme reconnue, et il exalte ses propres qualités d'être docile, conciliant et utile au troupeau, comme étant les seules vertus véritablement humaines, à savoir l'esprit communautaire, la bienveillance, la déférence, le goût du travail, la tempérance, la modestie, l'indulgence, la pitié. Mais toutes les fois qu'on pense ne pas pouvoir se passer de chefs et de mouton de tête, on s'ingénie de nos jours à remplacer les dirigeants par un petit groupe d'hommes intelligents du type grégaire. C'est là l'origine, entre autres, de toutes les Constitutions représentatives.


[...]

 

Nous savons du reste combien cela passe pour offensant, d'entendre ranger l'homme, tout crûment et sans métaphore, au nombre des animaux. Aussi sera-t-on sans doute tout disposé à nous accuser de d'employer constamment, en parlant des tenants des "idées modernes", les expressions de "troupeau", "instincts grégaires" et autres semblables. [...] La morale est aujourd'hui en Europe une morale de troupeau, ainsi donc à notre avis, une variété de morale humaine qui laisse ou devrait laisser possibles à côté d'elle une infinité d'autres morales, et avant tout de morales supérieures. Mais contre une telle "possibilité", contre un tel "devoir être", cette morale se défend de toutes ses forces : elle déclare opiniâtrement et inexorablement : " C'est moi la morale, et rien en dehors de moi n'est morale " 

[...]

Mais que ce mouvement soit encore beaucoup trop lent et trop endormi pour les plus impatients, les malades et les accrocs de cet instinct, c'est ce qu'expriment les hurlements de plus en plus furieux, les grincements de dents de moins en moins dissimulés de ces chiens d'anarchistes qui errent à travers les rues de la civilisation européenne; apparemment en conflit avec les paisibles et laborieux démocrates et idéologues de la révolution, plus encore avec les grossiers philosophâtres et les illuminés sectaires qui se déclarent socialistes et veulent la "société libre"; mais en réalité tous sont unis dans la hostilité foncière et instinctive de toute autre forme de société que celle du troupeau autonome.


[...]


Cette dégénérescence collective de l'humanité, qui la ramène au niveau du parfait animal de troupeau dans lequel les rustres et les imbéciles du socialisme reconnaissent "l'homme de l'avenir", - comme étant leur idéal ! - cette dégénérescence et ce rapetissement de l'homme jusqu'au parfait animal de troupeau (ou, comme ils disent, à l'homme de la " société libre ") cet abêtissement de l'homme jusqu'à l'état de gnome aux droits et aux titres égaux est possible, ça ne fait pas de doute !

Quiconque a pensé jusqu'au bout, ne fût-ce qu'une seule fois, cette possibilité, connaît un dégoût que ne connaissent pas les autres hommes - et peut-être aussi une tâche nouvelle.

 




16/01/2012
6 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour