Le corps dans la main

Février 2012

 1er février : la période des examens s'achève. Comme un manège qui tourne de plus en vite et qui vous fait mal à la tête, duquel on voudrait sortir, mais que la musique rend fou, et puis qui descèlère; lentement on s'en extirpe, et les pieds sur la terre ferme, on se dit "ce n'était que ça". Chaque année c'est pareil, une angoisse tourneboulante, l'angoisse de la solitude, l'angoisse quantitative des heures passées à travailler, l'envie de tout plaquer, les soirées à fumer sous les étoiles avec le sentiment spleenéen de révolution. 

Et puis lui me rajoute une dose de doute dont je me passerait bien. Le malheur se lit dans nos quatre yeux. La magnification du passé fait des merveilles. J'en oublierai presque que si je suis seule à en crever tous les soirs à traîner dans les rues, à me gaver devant des films que je ne regarde pas, à me lamenter avec le coeur dopé qui bat insistant et fébrile, inquiétant dans ma poitrine, j'oublie que ce n'est pas son cas. Trop peur d'être seul. Trop peur d'avoir mal. Moi je fais mes dents jusqu'à ce que les perde. Un apaisement momentané, là, maintenant, ces quelques jours, pour se retrouver, retrouver ses choses, ses déviances, ses musiques intérieures. Mais je sais que ça ne va pas durer. Parceque le souvenir de son existence, de sa réalité corporelle, là, peutêtre dans la même ville me fout la trouille. Parceque la réalité de mon épaississement corporel me fout la trouille. Parceque je vais devoir recommencer. Parceque je vais encore échouer. Parceque ça me fout la trouille.

 

 

3 février : il est 3h36. Les chiffres clignotent amicaux sur l'écran. Ce mois tant angoissé va finalement passer vite. Je vogue de gens en gens. Je me refais. Comme aux échecs ou aux dames, j'ai droit à une revanche, j'ai droit à rejouer ma mise. Alors je glisse, absente, de canapés en bars, de balcons en  bus de nuits. J'aime voir le ciel noirci et les galaxies illusoires qui ne servent à personne. Je ne pleure plus. Bien sur il est toujours là. Bien sur je les redoute. Mais ma revanche se joue par l'oubli et les interdits sont ma botte secrète. Les cloches sonnent. Je mange de clopes, je dors de voletages. Je squatte la vie qui était la mienne. J'ai l'air sage comme ça. Je suis une dépravée spirituelle. Ca aussi je le cache... Encore du chemin à faire. Et puis vers le bas, c'est aussi cheminer, et le mouvement rassure, il n'y a rien de pire que l'immobilité. Si, peut être le doute. Mais le mouvement tue le doute. Le doute est un arbre enraciné, que l'on traîne dans une benne à ordure lorsque l'on se déracine soi-même. Mais aussitot que l'on s'arrête, il se replante, il fait de nouvelles pousses, il ne meurt jamais. Nous oui.

 

 

7 février : Ils pourraient au moins changer leurs photos de profils. Quelle hypocrisie. Et quelle conne j'ai été. Chacun de mes actes est le produit de l'ennui ou d'un espoir stupide. Ya pas d'espoir, mets toi ça dans la tête. Quand des instants d'extase t'arrivent dans la gueule, tant mieux, ouvre grands les yeux, les sens et les oreilles. Mais ne les attends pas. 

« Il ne faut pas avoir peur du bonheur. C'est seulement un bon moment à passer.  »

Romain Gary.

Et pourtant je n'arrive même plus à lire, je n'arrive qu'à avoir peur, qu'à repasser les derniers mois et les dernières années en boucle. Je suis en symbiose avec mon nombril. Nous pensons les mêmes choses, nous nous flagellons sur les souffrances commises, l'un dans l'autre. Plus je suis libre et plus me m'enferme. J'ai sommeil. Je sursaute. Je ne suis pas ou je suis. Dans un aquarium bizarre d'ou j'observe les autres. Je n'ai pas assez de salive pour tourner la page, alors j'attends. Le premier qui me fait un discours sur la volonté se prend une décharge. 

 


14 février : Mon dieu, que j'ai-je jamais été à ce point là grosse. Je ne rentre plus dans mes pulls, c'est dire. C'est en enfer insurmontable. Comment l'ai-je surmonté dans le passé ? comment ai-je réussi à me débarrasser de toute cette masse? La réponse est que je n'en avait sans doute pas tant à perdre, je ne sentais pas, je ne voyais pas les courbes rondes et ovalescentes, gorgées d'eau et inutiles de mes bras, de mes seins, de mes jambes. La féminité n'est pas une masse de prostaglandine laiteuse, c'est mieux que ça. 

Alors quand je me vois de la sorte, j'ai peur de sortir, je me mue en insupportable introvertie rougissante, ce qui ne fait qu'ajouter une graine de ridicule à un tableau qui n'en avait pas besoin. Je suis mal mal mal. La rentrée approche. Je les hais tous, ils m'indiffèrent. Check, dans une semaine, je suis à demi prof. Voilà l'unique bonne nouvelle de la semaine, du mois même. Grosse grosse vache... j'ai recommencé les voltiges cuvettes. A présent elles sont toutes plus minces que moi. Ou suis-je passée? 

 

 

 

21 février : Dejà deux jours à peine que la vie recommence et pourtant j'ai l'impression de mourir à petit feu. De ne me retrouver que le soir, lorsque les rues se font complices, s'apaisent,lorsque les violoncelles se lancent, lorsqu'enfin je redeviens la noirceur avouée et la mélancolie limpide, celle qui est moi, celle que je crois être, celle que je voudrais être mais qui s'aveugle passionément aux yeux du public de méchanceté et de bavardages. La musique claque dans mon coeur. Mais le jour je suis vide. Les regards me sucent ma substance. Déjà je ne veux plus y retourner.

Là, dans mon cocon de Lune, je suis prête à pardonner. 

 

 

 

27 février : je déteste qu'on décide pour moi. Si je me gausse ne pas vouloir choisir, ce n'est pas pour qu'on le fasse à ma place. Je me suis rendue compte qu'au bout d'une année et demi maintenant, je suis toujours une intruse, une étrangère, aussi bien pour l'administration que pour mes souvenirs qui s'accrochent de manière dérisoire à ce que je croyais être mes premiers moments de libertés. C'est comme ça que je veux m'en souvenir, du moins. Je n'ai, ce jours, plus de force autre que celle d'être exténuée et énervée de l'injustice qui me frappe au coin des rues. On a toujours le sentiment que c'est injuste me direz vous. Enfantillage. Et puis j'ai faim. Mon estomac est un becher d'acide. Pourtant je mange, allez comprendre. Passe et impasse. 

 

 



01/02/2012
5 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour