Le corps dans la main

HP sans cartouche


Parenthèse qui ne touche pas aux troubles alimentaires mais aux troubles de l'existence dans leur globalité. Parcequ'il me rassure, parcequ'il me concerne,parcequ'il exprime la perplexité et le vide dans lequel je me trouve, et bien que l'on puisse juger qu'un tel article n'a rien à faire ici, je le publie. Me voilà confortée dans l'idée que l'avenir ne sera qu'un déclin. Ces mots trop vraisemblables sonnent comme une prophétie.

 


Source : www.douance.org (Arielle ADDA, 1991)

 

 

"Il est maintenant un enfant dépouillé de tout ce qui faisait sa spécificité, comme écorché et laissé ensuite sans protection, n'ayant d'autre ressource que de se faire le plus neutre, le plus insignifiant, le plus invisible possible. Pour se faire accepter, il doit se résoudre à un douloureux renoncement : celui de sa curiosité, qui va rester insatisfaite, de son désir de connaissance, qui sera toujours frustré, de l'exercice de son raisonnement , qui s'avère inutile et qu'il lui faut freiner, de l'exploration des chemins qui mènent à la découverte et qu'il doit ignorer ... Tous ces deuils sont préférables à un rejet de la part de l'entourage amical et pédagogique.

A partir de ce moment, quand l'enfant s'est soumis à la voix de la sagesse et a accepté de vivre en deuil permanent, il n'est plus rien . On ne peut le définir que par des phrases négatives : il n'est pas audacieux, ni dynamique, il ne désire rien et rien ne l'intéresse, il ne sait pas ce qu'il veut, on ne sait comment lui faire plaisir. 
Mais tant de passion contenue finit par une obscure violence qui peut seulement se retourner contre celui qui la possède : un désenchantement qui peut aller jusqu'à la dépression envahit l'enfant précoce.

Il bascule dans un néant grisâtre où il va devoir vivre désormais, loin des rêveries éclatantes qui l'avaient accompagné jusque là. On peut penser que certains ne se sont jamais remis du choc éprouvé à ce moment et ils vivent comme en surface d'eux-mêmes, préférant ne pas se pencher sur leur propre histoire, comme s'ils avaient glissé dans un gouffre aux parois trop lisses, impossibles à remonter ; mieux vaut se désoler dans ce fond embourbé, plutôt que de tenter une sortie, il n'y a pas d'issue et on retombera, encore plus endolori qu'avant, à cause de l'étincelle d'espoir qui avait fugitivement brillé tout là-haut. "

 

"L'analogie du microscope est un moyen utile de comprendre l'extrême intelligence. Si nous disions que tout le monde regarde le monde à travers une lentille, certains avec une lentille brouillée ou distordue, et certains avec une loupe puissante, nous pourrions dire que les surdoués voient le monde à travers un microscope et les HGC à travers un microscope électronique. Ils voient les mêmes choses d'une manière différente, et souvent voient ce que les autres ne peuvent même pas voir."


Sur un autre registre, il a été dit, dans une unité de recherche d'une Faculté : "les enfants surdoués sont souvent psychotiques" ; il ne reste bien alors qu'à gommer cette différence rebelle, conduisant ces enfants sur le chemin de la psychiatrie.

 

 

 

"La route large qui menait vers un futur brillant et empli de merveilles à découvrir s'est rétrécie, l'avenir est maintenant étriqué pour cet adolescent apathique, qui deviendra un adulte replié sur lui-même, se sentant toujours incompris, échouant misérablement dans tous les domaines, parce qu'il n'aura pas eu le droit de réaliser ses potentialités, pas plus que celui de réussir et d'être heureux.

On peut seulement espérer que son énergie en sommeil finira par se réveiller et le poussera à une salutaire colère : si elle est convenablement dirigée, le malentendu peut être combattu, mais la revanche aura un goût amer, celui des années perdues dans les limbes de la conformité. 
De surcroît, cet immense gâchis aura laissé des traces, des qualités qui pouvaient constituer un enrichissement profitant à la société tout entière sont considérées comme des défauts à gommer rapidement, si on veut réussir une paisible intégration. 

Il était trop dur d'adopter une position de rebelle, de se heurter à une classe entière, de s'obstiner dans la différence. Depuis longtemps, il a pris l'habitude de ne pas exprimer trop ouvertement ses émotions : elles étaient mal comprises et parler trop sincèrement pouvait déclencher une avalanche de réactions agressives, violentes, plus sûrement blessantes que l'arme la plus offensive. 
Rêveur, ailleurs, toujours en décalage par rapport aux autres, cet enfant aura constamment ressenti l'impossibilité de se retrouver au même niveau que ses camarades, dans quelque domaine que ce soit. Devenu adulte, il ne sait toujours pas comment se situer, ses relations amicales en souffrent. Il est avec des amis, il rit avec eux, il goûte leurs plaisanteries, il en tente même quelques-unes et, tout à coup, un mur se dresse : un instant auparavant il s'amusait, et voilà qu'il ne rit plus, même en se forçant. Il se sent coupable de tant de détachement, il s'inquiète même de cette "anormalité" et les autres ne se privent pas de lui faire sentir la bizarrerie de sa conduite. On le dit hautain, trop distant, lunatique, inconstant, peu fiable, rien de bien sympathique.

Pourtant sa bonne volonté n'est pas en cause, il est même le premier à se désoler de cette coupure et il préférerait, de loin, continuer à rire avec les autres, mais ce mur ne se laisse pas franchir, il reste opaque, désespérant parfois. 
En retrait, en marge, jamais complètement dans un groupe, mais rarement tout à fait à l'écart, parce qu'il s'efforce de rester inséré, de donner le change, cet adulte demeure incompris, sans en avoir lui-même conscience, puisqu'il n'a pas connu véritablement d'autre situation.


[...] 

 

Ceux qui ont réussi à sauvegarder une certaine armure ont toujours l'ironie, l'apparente désinvolture, l'agressivité charmeuse que donne un esprit sur la défensive. L'humour reste, en dépit de tous les drames, une des caractéristiques des enfants doués, et un adulte, même dans la pire des situations, conserve encore ce recours, souvent comme le seul fil de lumière qui l'empêcherait de sombrer dans un noir désespoir. Cet humour, qui atténue la portée des blessures, qui gomme la souffrance, qui relativise toute chose en permettant une mise à distance, est bien utile pour celui qui doit se forger une défense efficace. De surcroît, c'est une bonne façon de se faire accepter en société, la plaisanterie constitue un préalable qui fait souvent gagner bien du temps ; c'est un laissez-passer assuré.

On donnera alors l'image de quelqu'un de jaloux de son indépendance, qui ne veut pas s'attacher, qui aime séduire pour le seul plaisir du jeu, mais pour qui se dévoiler un tant soit peu serait montrer sa faiblesse, qui trouve préférable de conserver cette apparence brillante dans le verbe, subtile dans le maniement des idées, mais jamais, au grand jamais, se risquer à montrer ou même à laisser deviner à quel point on peut être vulnérable, misérable, plus que nu, quand l'armure est enlevée.

Ceux-là se sont construit une image brillante et dérisoire, comme si elle était en carton et que la moindre larme allait la dissoudre. Ils préfèrent se donner une allure de mystère, qui ajoute à leur séduction, à condition de tenir ce rôle assez longtemps pour rester crédibles et pour entretenir l'illusion.


[...]

 

Mais ils ne trouvent nulle part de place qui leur convienne, ils changent alors souvent de résidence, de métier, de pays même, dans une quête perpétuelle de leur propre image, qui se dérobe sans cesse, puisqu'elle ne leur a jamais été retournée de façon cohérente ...

Il est donc impossible de s'y reconnaître et ils errent, s'affublant parfois d'oripeaux, dont ils pensent qu'ils vont leur conférer le relief qui leur manque ; ce seront des prises de position provocatrices, des goûts trop exotiques, des recherches d'originalité destinées à surprendre, mais dont ils n'arrivent même pas à être dupes, tant ces artifices sont factices et inutiles.

Et c'est ce rien, cette absence de tout, qu'on va offrir à celui qu'on veut séduire ? 

Exigeants, jusqu'au perfectionnisme, passionnés, même quand ils n'en laissent rien paraître, d'une ironie critique qui affleure souvent, ils ne peuvent se contenter de relations médiocres.

L'amitié, l'amour, la réalisation de soi-même, tout devient plus difficile et surtout plus décevant.

 

 



31/03/2012
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