Le corps dans la main

Le bonheur à dents de sabre

 

 

La société actuelle n'est pas hédoniste. Elle est hédoniste-extrêmiste : elle ne tolère pas qu'une brebis puisse s'égarer sur le chemin d'une autre religion que celle du bonheur. 

Du déjeuner entre amis, du fauteuil déplacé près de la cheminée, à la politique du progrès, tout est dévolu à cette divinité bienveillante : le Bonheur, le plaisir de l'instant pour les plus pragmatiques, celui à venir, celui de l'autre.

Si par malheur vous vous égare du dogme central et émettez l'opinion que vous vous plaisez à fréquenter une autre Eglise que celle là, on vous regardera sans doute avec des yeux ronds. Vous ne serez pas cru, on vous rira au nez, on vous prendra pour un marginaliste réactionnaire. 

Mieux encore, les missionnaires du bonheur entameront leurs glorieuses croisades : psychanalystes, thérapeutes, conseillers beauté-look-famille-sexo-assurance-logement-remise-en-forme. 

Aveuglés par leur grande oeuvre de charité, chevaliers d'un mot d'ordre qui les faits eux-mêmes sourire : " le Bonheur? Non non! juste le bien-être." Pas de manières, je vous en prie, les hommes ne sont pas si humbles.   

On ne parvient pas à concevoir qu'un être se complaise hors de la terre promise de ce bonheur, ce confort, cette plénitude satisfaite. C'est carrément contrevenant, contre-nature, insultant. 

Une épave ne peut éprouver satisfaction à se voir lentement couler, à regarder avec amour les gouttes d'eau s'infiltrant dans ses fissures. C'est impensable. Alors des armées viennent la calfeutrer. Pourquoi? Pour la faire tenir jusqu'au prochain port. 

Elle elle rêve d'une tempête fatale qui l'emporterait ronflant sur ses crêtes pour mieux l'engloutir et la faire voler en éclats, qui la briserait avec fracs contre de sombres rochers, elle rêve que la colère grandiose des flots la démembre, hurle, éventre majestueusement sa dépouille. Elle rêve d'une fin tragique la petite caravelle. 

Mais non, elle doit encore servir. Parents, amis, armateurs...comme si elle leur était redevable. Cet ordre tacite la retient prisonnière. Les humains gardent jalousement les leurs à leurs côtés par un chantage au malheur : reste avec moi....

 

Moi comme les autres, j'ai accepté le pacte. Pour l'instant.

 

 



01/07/2011
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