Le corps dans la main

Le Robert des Noms propres, Amélie Nothomb (2)

 

 

 


Ce que Plectrude vivait à l'école des rats s'appellait l'ivresse : cette extase se nourrissait d'une énorme dose d'oubli . Oubli desprivations, de la souffrance physique, du danger, de la peur. Moyennant ces amnésies volontaires,elle pouvait se jeter dans la danse et y connaître la folle illusion, la transe de l'envol.

[...]

C'était sa santé qui la tracassait en secret.Elle n'en parlait à personne mais la nuit elle avait si mal aux jambes qu'elle devait s'empêcher de crier. Sans avoir aucune notion de la médecine, elle en soupçonnait la raison  elle avait supprimé jusqu'à la moindre trace de produit laitier dans son alimentation. En effet, elle avait remqrqué qu'il lui suffisait de quelques cuillerées de yaourt maigre pour se sentir "gonflée". Or le yaourt maigre était le seul laitage admis dans l'établissement. S'en passer revenait é éliminer tout apport de calcium, lequel était censé cimenter l'adolescence. Si fous que fussent les adultes de l'école, aucun ne recommandait de se priver de yaourt,et même les élèves les plus décharnées en mangeaient. Plectrude bannit cet aliment.

Cette carence entraîna très vite d'atroces douleurs dans les jambes, pour peu que la petite restât immobile plusieurs heures, ce qui était le cas la nuit. Pour éliminer cette souffrance, il fallait se lever et bouger, mais e moment où les jambes se remettaient en mouvement était un supplice digne d'une séance de torture : Plectrude devait mordre un chiffon pour ne pas hurler. Elle avait à chaque fois l'impression que les os de ses mollets et de ses cuisses allaient se rompre. 

Elle compris que la décalcification était la cause de ce tourment. Pourtant elle ne put se résoudre à reprendre ce maudit yaourt.[...]

 

 

Plectrude admirait sa vie : elle se sentait comme l'héroïne unique d'une lutte contre la pesanteur. Elle l'affrontait par le jeûne et par la danse. Le Graal était l'envol, et de tous les chevaliers, Plectrude était la plus proche de l'atteindre. Que lui importaient les douleurs nocturnes en regard de l'immensité de sa quête? 

[...]

 

 

Ce qui devait arriver arriva. Un matin de novembre, comme Plectrude venait de se lever en mordant son chiffon pour ne pas hurler de douleur, elle s'effondra : elle entendi un craquement dans sa cuisse. Elle ne pouvait plus bouger, elle appela àl'aide, on l'hospitalisa.

[...]

_ Dans votre état, je ne sais pas combien de temps vous allez le grader ce plâtre. Sans compter  la rééducation qui suivra.

_ Alors je ne vais pas pouvoir danser pendant longtemps?

_Mademoiselle, vous ne pourrez plus jamais danser.

Le coeur de Plectrude cessa de battre. Elle tomba dans une sorte de coma.



22/06/2011
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