Le corps dans la main

Rêve cornélien

 

 

 


 

 

 

La douce- amère perte de vos rondeurs complexantes vous promet de briller de mille feux, et vous n'aspirez qu'à la croire. Elle vous montre une image miroitante de vous-même, prétendue véritable, celle qui se cache sous votre silhouette actuelle graisseuse mal dans son jean. Vous vous projetez dans le rôle de la mince, celle à qui tout va, celle qui vit sans complexes, celle que l'on envie, celle qui éclate de sa maigreur arrogante. Vous vous imaginez pouvoir être maigre et vivante _vous en connaissez des comme ça, de celles qui croquent dans la vie et gardent un physique fluet paradoxal_ Vous croyez pouvoir concilier les deux : erreur. Vous serez fluette mais seule, humiliée. Vous ne mangerez pas en riant et vous croyant tout permis comme dans vos anciens fantasmes. 

 

 

 

Et puis il y a l'autre route, celle qu’on choisit non par naïveté, non parcequ'on croit avec ferveur au bonheur d'être mince, mais parcequ'on sait. Parcequ'on sait, qu'on a éprouvé jusque dans ses entrailles, la solitude, la honte.. et qu'on y revient quand même. Purement maso? Non. Un appel à l'être. Je veux être, être unique, être remarquée, être romantique et désespérée, être en marge par ma maigreur, par mon malheur...afficher ma clandestinité à vivre.

 

Voilà ce qu'on choisit, une destinée de héros Cornélien tragique. D'autres choisissent des amours impossibles. Moi c'est le cynisme et la souffrance de la bouffe. On fait avec ce qu'on a.

 

La destinée grandiose, le martyr contemporain. Oui, je suis une putain de romantique despote, qui voudrait voir des générations de lecteurs pleurer devant son caveau. Mais c'est fini le temps ou Romeo et Juliette se tuant l'un pour l'autre bouleversent les chaumières. Une jeune sotte désespérée crève, eh bien on crie quelques secondes sur la mode et les magazines, on déplore la triste époque. Je manque cruellement de public dans mon agonie. Alors je crie toujours plus fort. Pour être sure qu'on m'entende, qu'on me perçoive. Pour éclater je n'ai trouvé que la douleur, parce que la douleur c'est marginal, c'est un exil. Et ma plus grande hantise c'est la masse, le commun celui qui n'est ni heureux ni scarifié, celui qui rentre dans les standards de poids, d'idées, de mode de vie et de pensée.

 

L'excentricité est ma drogue... dans cette peur sourde d'être banale, dans la volonté prétentieuse de pouvoir briller rien qu'en se faufilant quelque part, être maigre est une réponse partielle. Etre malade et tourmentée en est une autre, plus complète. Oui, se détester et être orgueilleuse, c'est possible. Se haïr et être fière à la foi. Je ne suis pas hypocondriaque. Pas exactement. Je cherche à modeler ma marge, je cherche à m'enfuir toujours plus du centre. Je suis déjà née en dehors, c'est vrai. Mais il m'en faut plus. Mon apparence me paraît banale et ne reflète pas ce bouillonnement titanesque que j'ai la prétention de ressentir. Oui, je me hais. Oui, je suis imbue de moi-même. Match nul. Il faut pourtant que j'avance. Par où?

 

 

« Par peur d’être quelconque, j’ai fini par n’être rien. » 

Emil M. Cioran, Cahiers 1957-1972

 





21/08/2011
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